Neuf livres rythment ce Recueil sans fin de méditations sur l’assise. Un(e) artiste s’accorde à chacun d’eux pour y instaurer son climat.
Ces neuf livres peuvent s’organiser en trois trilogies, la première rendant hommage aux coussins de méditation : ils incarnent les invitations à l’assise.
Assis sur un coussin noir aux pommes vertes est le premier navire, l’entrée en matière et le temps des découvertes de tous ces trésors que recèle l’assise.
Assis sur un morceau de bois flotté, le deuxième, tisse une métaphore à prendre au pied de la lettre. Ce bois offert par la mer est devenu mon deuxième coussin de méditation, la vacuité est au cœur de son propos.
Enfin Assis sur un coussin bleu comme la nuit témoigne d’une époque accompagnée par Sylvie, une amie qui a accepté de partager avec moi ses méditations comme autant de bouées de joie, l’année de son cancer et de sa mort.
Ce Recueil sans fin s’adosse à une pratique de l’assise devenue plus ou moins quotidienne. Elle nourrit un tout autre moment, celui de l’écriture de petits poèmes : trois tercets où les mots sont aiguisés pour être au plus proches de l’expérience de la méditation assise, même s’ils ne cessent bien sûr de la trahir…
Dans cette « aventure » poétique, l’écriture cherche avant tout la simplicité : tout le propos s’achemine vers un climat propice à éclairer un sens qui par sa nature nous échappe, (approché par des images, par des paradoxes). Le défi étant de conjuguer par l’écriture la puissance de l’assise à sa fluidité, son austérité à son élégance, sans affectation ni pose (quoique certains poèmes n’échappent pas à une certaine ivresse…)
On pourrait imaginer une sorte de journal, mais l’ordre de l’écriture ne respecte que très approximativement sa chronologie, et le je qui prend l’initiative du journal a pour volonté de s’éclipser, se perd dans le jeu des personnes (où le je peut aussi bien se référer à un tu qu’à un tout autre ; le tu et le il à toi, à moi, voire au monde). Les thèmes abordés sont focalisés sur la seule assise, sur un maigre territoire d’un m2 qui peut paraître monotone : il n’y a jamais là qu’un bonhomme immobile dans le lit d’un courant qui lentement creuse ses méandres. Tout le propos tient là dans ce lit qui se creuse à son insu… Et n’importe qui peut y plonger n’importe où, n’importe quand.
J’aurais pu donc abandonner tous les titres qui rythment chaque recueil et laisser filer les poèmes à leur courant. Ils renvoient pourtant à un parcours balisant quelques tourbillons où chacun peut laisser tourner sa petite musique intérieure (cf. la table d’orientation).
Peut-on parler de spiritualité ou de philosophie spirituelle ? Difficile d’y prétendre, quoique ce soit là la moelle même du fait de s’asseoir… Ces recueils reposent sur une expérience qui vise à une expansion de l’esprit, mais dans un combat au corps à corps et avec le cœur. Pas de volonté donc d’y trouver un quelconque bien-être, mais bien la véritable parturition d’un corps à faire renaître, et un rapport au monde à constamment décaper.
Cette méditation s’inscrit bien sûr dans une curiosité assez partagée aujourd’hui : on peut s’en réjouir et entrevoir la redistribution des valeurs dont elle témoigne. On peut aussi craindre les effets de mode qui l’accompagnent et interroger la dimension idéologique de cet intérêt si consensuel.
L’expérience dont cette écriture témoigne repose sur une démarche solitaire et étrangère à toute chapelle : il s’agit simplement d’essayer d’être un homme vrai. Elle n’en a pas moins tout un sous-sol bien connu – le Fumée de fumée // Le tout fumée de L’Ecclésiaste, le nada de Jean de la Croix, ce Dieu nu de Maître Eckart qui n’est ni ceci ni cela, ou le fana des soufis, les lumières philosophique et poétique de l’Iran… Mais la méditation abordée ici mène bien davantage sur les sentes orientales des philosophes taoïstes et du bouddhisme zen où l’on découvre, par tous les pores de sa peau, que ce monde a beau être cruel, il est magique et magnifique… et que nous portons en nous ce monde qui nous respire.
Cette méditation s’enracine aussi dans une pratique ancrée depuis longtemps dans ma vie, celle des arts énergétiques chinois (qi gong et taiji quan) qui m’ont sensibilisé à l’importance du corps et de son relâchement.Il n’y a qu’à s’abandonner, à être fleuve dans le fleuve qui passe suggère H. Michaux, à creuser des chemins d’ombre pour y trouver leur lumière, à comprendre que nous ne sommes rien… mais que nous avons tout dans les mains.
S’il me fallait faire l’archéologie de ce désir de méditer, il me faudrait remonter au temps de l’enfance où je m’extasiais devant la lumière d’un vitrail à côté de ma grand-mère qui priait dévotement… ou à celui de l’adolescence où un ami précoce citait Lao-Tseu – le saint se nourrit du ventre. L’énigme invite à contempler le cœur de la vie, à trouver une joie qui ne saurait être cantonnée à quelques révélations et encore moins à une pleine conscience du seul moment présent : elle transforme à notre insu le regard que nous portons sur le monde. Et invite à se débarrasser du moi, désir sans doute illusoire, mais au moins faut-il humblement travailler à ne pas s’y fixer.
La méditation n’est bien sûr rien en elle-même, rien qu’un expédient pour sortir de soi et s’ouvrir au monde, comme l’exprime bien à sa manière R. Wagamese dans son roman « Les Étoiles s’éteignent à l’aube »: – Jimmy disait tout le temps que nous étions un Grand mystère. Tout. Il disait que les choses qu’ils faisaient, ces Indiens d’autrefois, c’était rien d’autre que d’apprendre à vivre avec ce mystère. Pas le résoudre, pas s’y attaquer, pas même chercher à le deviner. Juste être avec. J’crois que j’aurais aimé apprendre le secret qui permet de faire ça.